Aurore de l'Europe

Un blog destiné à informer et à entretenir le débat autour des questions de droits de l'homme et de bioéthique.

Thursday, March 31, 2005

Le dossier Schiavo: la dernière chance perdue.

Après un petit silence (mais le blog anglais était maintenu à jour) voici les dernières nouvelles du dossier Schiavo. La Cour Suprême a rejetté le dernier recours des parents de Mme Schiavo, concluant ainsi une suite de procédures judiciaires de la dernière chance. On ne sait très bien si admirer la persévérance des parents, ou regretter cette suite de déconvenues.

Il faut préciser que les juridictions fédérales, tout en se montrant pleine de compréhension (en paroles) pour les parents de Mme Schiavo, ont dernièrement commencé à montrer des signes d'impatience, non envers les malheureux parents, mais contre le Congrès Américain, qui a voté la loi personnelle, dite "Terri Act".

C'est ainsi que dans la dernière décision de la Cour d'Appel d'Atlanta, on peut retrouver non une opinion dissidente, comme la première décision, mais bien une opinion qui soutient la décision principale. Le juge Birch en profite pour parler de la grande question que toutes les juridictions évitaient d'aborder jusqu'à présent: la constitutionnalité de la "loi Terri". Vous pouvez trouver la décision intégrale sur le site de Findlaw, ici: http://news.findlaw.com/hdocs/docs/schiavo/33005ca11rhrng2.pdf

Le juge Birch a commencé son opinion en notant l'adage juridique: "hard facts make bad law". Il poursuivait en lançant un appel à mettre un point final à la question telle que débattue dans les tribunaux:

"The tragic events that have afflicted Mrs. Schiavo and that have been compounded by the resulting pasionate inter-family struggle and media focus certainly qualify as "hard facts". And, while the members of her family and the members of Congress have acted in a way that is both fervent and sincere, the time has come for dispassionate discharge of duty."



Le juge a ensuite poursuivi en critiquant sévèrement la position du Congrès, en indiquant que tout en agissant pour des motifs louables et altruistes, elle était en contradiction avec la Constitution américaine. Il a notamment considéré que sous la doctrine Rooker-Feldman, les Cours fédérales américaines n'avait aucune compétence pour connaître de décisions prises en dernier ressort par les juridictions d'états. Vous pouvez suivre le lien, ci-dessus à un article de la Florida Coastal Law Journal pour connaître la signification exacte de la doctrine Rooker-Feldman. Je me répète probablement, mais le dossier Schiavo est une excellente manière d'étudier le droit américain: voici un autre grand principe du droit américain qui est offert en discussion dans le cadre d'une décision de justice.

J'introduis une parenthèse: vous aurez noté que le dossier Schiavo pose de manière plus fondamentale, la question de la répartition des pouvoirs entre le niveau fédéral et les états. Si on trouve des sondages critiques de la position du Congrès, c'est plus probablement la question de l'ingérence dans les affaires des états qui est en cause, et non tellement la question du droit à la vie (ou du "droit" de mourir).

Le juge a enfin critiqué la violation de la séparation des pouvoirs constituée par la loi Terri. L'essence de son opinion est reproduite ci-après:

"Because these provision constitute legislative dictation of how a federal court should exercise its judicial functions (known as a "rule of decision"), the Act invades the province of the judiciary and violates the separation of powers principle (...) By arrogating vital judicial functions to itself in the passage of the provisions of Section 2 of the Act, Congress violated core constitutional separation principles, it prescribed a "rule of decision" and acted unconstitutionally".


Il a conclu en considérant que les parties de la loi qui étaient inconstitutionnelles ne pouvaient, en vertu des règles d'interprétation des tribunaux américains, être séparées du reste de la loi, ce qui devait entraîner l'inconstitutionnalité de l'ensemble de la loi.


Cette opinion judiciaire est alors à lire en relation avec un éditorial d'Ed Lazarus, un chroniqueur de Findlaw: "Why Congress Intervention predictably did not help the Schindlers".

L'auteur y note trois grandes causes de déficiences pour la loi "Terri":

1° Elle était une loi rétroactive;

2° Le Congrès a essayé d'écarter la règle des précédents et notamment la règle Rooker-Feldman.

3° Le Congrès a interféré avec les droits constitutionnels de Mme Schiavo de refuser un traitment extraordinaire (affirmés dans Cruzan v. Missouri Dep't of Health, une décision qui affirmait le principe de la possibilité de refuser de tels soins, tout en n'en faisant pas application à Cruzan, car il n'y avait pas de preuve "claire et convaincante").

Quels commentaires pour ces critiques? En premier lieu, il est exact que techniquement, la décision du Congrès est très critiquable (il eut été beaucoup plus sensé de passer une loi générale, interdisant le débranchement des patients dans un état végétatif). Le journal Le Monde notait perfidement dans son édition du 28 mars 2005 que :

"La semaine dernière, un garçon de 8 ans est mort au Texas après le débranchement de l'appareil le maintenant en vie. Ses parents n'avaient pas les moyens de payer le traitement. La droite républicaine n'a pas manifesté d'émotion."

Je pense que ces nouvelles se passent de commentaires: il n'est pas très intelligent de se focaliser sur un cas seulement, et d'oublier ceux qui doivent être privés de soins, non à cause de leur prétendue "décision" mais parce qu'ils n'ont pas les moyens d'être soignés.

Les autres arguments soulevés dans l'article me posent moins de problèmes: les partisans du débranchement soulignent ici que toutes les garanties juridictionnelles ont été respectées pour Mme Schiavo. On peut ajouter que les Cours fédérales se sont aussi abstenues (mais probablement par souci de ne pas heurter davantage l'opinion) de soulever des exceptions d'irrecevabilité pour les appels successifs des parents de Mme Schiavo.


Néanmoins, le respect des formes légales me semble nettement insuffisant à garantir à lui seul la légitimité de décisions de justice. Les lois passées dans les années 30 en Allemagne pour "euthanasier" les malades mentaux, elles respectaient tout à fait la constitution allemande de l'époque. Mais néanmoins, elles violaient un principe constitutif de notre société, et qui a été affirmé après la seconde guerre mondiale: le droit à la vie. Le fait que des décisions soient en accord avec un cadre légal ne devrait jamais nous dissuader d'examiner de près la légitimité des lois et des décisions de justice.

Ainsi, j'ai parlé précédemment dans un autre post de la loi sur l'euthanasie en Belgique. A mon sens, cette loi manque de toute espèce de légitimité, car elle touche au fondement même de nos sociétés, à savoir l'interdit de tuer. Une part essentielle de la démocratie réside dans le fait que tout citoyen peut démontrer l'injustice et dénoncer l'illégitimité de certaines lois.

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